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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 15:33

Les trois formes de conscience du droit : Face au droit, avec le droit, contre le droit.

Extrait d'un texte de Jérôme Pelisse
A-t-on conscience du droit ? Autour des Legal Consciousness Studies - Cairn.info

http://www.cairn.info/revue-geneses-2005-2-page-114.htm

Trois grandes manières de se rapporter au droit et de construire la légalité sont ainsi identifiées à partir des entretiens menés par les deux chercheuses : before the law (face au droit), with the law (avec le droit) et against the law (contre le droit).

 

20 Être « face au droit », c’est concevoir la légalité comme une sphère distincte, séparée de la vie quotidienne, souvent autoritaire et prédictible. Le droit est décrit comme un système de règles et de procédures, formellement ordonné, rationnel, ayant sa propre grandeur transcendant les histoires et les conflits dans lesquels sont engagées les personnes. Objectif plus que subjectif, le droit est défini par son impartialité ; on se tourne vers lui de façon solennelle, seulement lorsqu’on imagine que son problème personnel a une portée affectant autant les autres que soi-même. Souvent dans ces situations, les personnes expriment une loyauté et une acceptation des concepts juridiques ; ils croient dans la légitimité des procédures légales, même s’ils ne sont pas toujours convaincus de l’impartialité des décisions. Ceux qui témoignent d’une conscience face au droit reconnaissent ainsi, à travers leurs actions et leurs interprétations, l’autonomie revendiquée par le droit lui-même, qui fonde l’existence de professionnels du droit.

 

21 Dans d’autres situations « avec le droit », celui-ci est décrit comme un jeu impliquant compétences, ressources et négociations, où des règles préexistantes peuvent être déployées et de nouvelles règles inventées, pour servir légitimement ses propres intérêts contre des personnes ou des organisations. Le droit est un monde de manœuvres et de tactiques, où l’habileté et la mobilisation de ressources externes au droit permettent des gains stratégiques. Les frontières qui séparent le droit de la vie quotidienne sont poreuses. Le droit implique une mise entre parenthèses de la vie de tous les jours, mais cette discontinuité est relative et peut être suspendue, si besoin est, en faisant appel aux ressources ou aux schèmes de la vie quotidienne. Les personnes mettent moins l’accent sur la légitimité du droit que sur son effectivité quant à leurs prétentions et leurs désirs. Ces histoires décrivent un monde de luttes et de compétitions, qui engagent moins le pouvoir du droit que le pouvoir de chacun « avec le droit ».

 

22 Enfin, une troisième façon de participer à la légalité (« contre le droit ») apparaît lorsque les personnes se sentent « prises » par le droit, le présentant comme un pouvoir arbitraire contre lequel elles se sentent impuissantes. Les catégories et les ressources associées à la vie du droit dépassent leurs propres capacités, soit de maintenir le droit à distance de leur vie quotidienne, soit de jouer avec ses règles. Les gens décrivent comment ils se débrouillent, utilisent les ressources momentanées et incertaines ouvertes par les situations dans lesquelles ils se trouvent pour inventer des solutions qu’ils ne peuvent obtenir autrement. Les personnes exploitent les interstices des pratiques sociales habituelles pour se forger des moments de répit à l’égard du pouvoir du droit qui colonise leur vie quotidienne : traîner des pieds, mentir par omission, pratiquer l’humour ou faire des scènes sont des formes typiques de résistance pour ceux qui sont « contre le droit ».

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